samedi 2 juillet 2016

20160702 - News : Michel Rocard, la deuxième gauche

Michel Rocard, la deuxième gauche



Ancien premier ministre de François Mitterrand, Michel Rocard, décédé samedi, restera dans l'Histoire comme le héraut de ce que l'on appelait « la deuxième gauche ». Retour sur ses années à Matignon.
Le 10 mai 1988, réélu, François Mitterrand nomme Michel Rocard à Matignon. Qui l'eût cru? Qui l'eût dit? C'est donc la grande «réconciliation» entre la première gauche, celle qu'incarnait le chef de l'Etat depuis le Congrès d'Epinay, en 1971, et la deuxième, qui l'avait combattu des années durant dans un de ses combats homériques dont la gauche française est friande. Phénomène que Manuel Valls, ancien rocardien, constate aujourd'hui encore…

Après ses années au PSU (Parti socialiste unifié), Michel Rocard représenta rapidement la gauche dite «moderne», celle qui allait tenter de combattre le cheminement vers l'Elysée du premier secrétaire François Mitterrand. Tout a été écrit sur cette exceptionnelle animosité entre le «vieux sage» et le «jeune fougueux», lequel estimait que l'alliance avec les communistes était néfaste. Tout a été dit, et notamment sur ce fameux Congrès de Metz d'avril 1979, où Michel Rocard déstabilise François Mitterrand, lequel envoie Laurent Fabius «exécuter» l'intrépide de sa formule fameuse: «Entre le plan et le marché, Michel Rocard, il y a nous, le socialisme à la française!».

Deux années plus tard, en nommant à Matignon celui qui avait voulu l'éliminer, François Mitterrand souhaitait, selon ses propres termes, «lever l'hypothèque Rocard». Certes, ce choix convenait à la politique d'ouverture voulue par Mitterrand, mais il cachait un dessein assez machiavélique: prouver à l'opinion publique en général, et aux socialistes en particulier, que l'icône de la deuxième gauche - la «gauche américaine» comme disait Jean Poperen- était nettement surévaluée. Dans l'esprit du président réélu, Rocard devait à Matignon faire la preuve de son incompétence, ou à tout le moins de ses insuffisances. «Je vais le nommer puisque les Français semblent en vouloir. Mais vous verrez, au bout de 18 mois, on verra au travers», avait confié François Mitterrand à ses proches.

La perspective lui plaisait: Michel Rocard échouant à Matignon, c'était l'assurance de ne pas le voir se présenter à la présidentielle de 1995, et donc ne pas prétendre à lui succéder. Ce qui, d'ailleurs, arriva. Le président se souvenait de tout: du tumultueux congrès de Metz et de l'offensive lancée alors contre lui par le représentant de la deuxième gauche (les girondins contre les jacobins), l'accusation d'«archaïsme» portée en 1978 après la défaite de la gauche aux législatives, les mises en garde contre les nationalisations à 100 % de 1981. Il se souvenait de tout, et il voulait se venger. À sa façon.

Rocard carbonisé en 18 mois? Ce n'est pas exactement ce qui arriva et la «cohabitation» Mitterrand-Rocard dura trois ans. Le premier ministre, qui promène partout où il va une sorte d'austérité rieuse, commence par un coup d'éclat, la signature des accords de Matignon, qui, sous la houlette de Christian Blanc, mettent fin à la violence en Nouvelle-Calédonie.

François Mitterrand doit commencer à réviser son jugement, d'autant plus que son premier ministre bénéficie d'une insolente cote de popularité. Et pourtant, ce ne sont pas les difficultés qui manquent. Malgré tout, le fameux «parler vrai» de Michel Rocard plaît aux Français.

Cependant, sous la surveillance du chef de l'État et d'une partie du PS, Michel Rocard doit composer à l'Assemblée avec une majorité parfois rétive. Aux législatives de juin 1988, et conformément au «souhait» exprimé par François Mitterrand (pour qui «il n'est pas bon qu'un seul parti ait la majorité absolue»), les électeurs ont accordé au PS une majorité relative. Les socialistes auront donc besoin pendant cinq ans des voix communistes. Cette majorité relative, Michel Rocard la traînera comme un boulet. Elle fera de lui le recordman du 49-3 sous la Ve République. À 28 reprises la scène s'est répétée à l'Assemblée nationale: le premier ministre pénétrait dans l'hémicycle, ou socialistes et communistes s'invectivaient, et mettait fin au débat en utilisant «l'arme nucléaire» de la vie parlementaire. Petit rappel savoureux à l'heure où Manuel Valls, qui commença en politique à Matignon du temps de Michel Rocard, s'apprête à utiliser le 49-3 sur la loi El-Khomri pour circonvenir les frondeurs.

Son débat le plus périlleux? Ce fut assurément celui sur la contribution sociale généralisée. La CSG? C'était pour lui le symbole de sa politique réformatrice. Financer une partie de la protection sociale par une cotisation assise sur l'ensemble des revenus, c'était une vieille idée qui traînait dans toutes les têtes, à gauche comme à droite (notamment Raymond Barre et Alain Juppé), mais que personne n'avait osé mettre en œuvre. Donc, Michel Rocard se lance, malgré les réserves des mitterrandistes du PS et la franche hostilité des communistes. En novembre 1990, il engagera finalement la responsabilité de son gouvernement sur ce texte et, lors de la motion de censure qui suivra, ne sauvera sa tête qu'à cinq voix près. Quelques minutes avant le vote, il lancera aux communistes: «Vous vous apprêtez à franchir une étape symbolique quand, à l'appel alphabétique, on verra Georges Marchais emboîter sagement le pas à Raymond Marcellin…!»

Cependant, Michel Rocard a su créer au Parlement quelques élans d'unanimité. C'est notamment le cas lors de la création du revenu minimum d'insertion (RMI), adopté en 1988 avec les voix du RPR et de l'UDF.

Malgré tout, Matignon fut tout sauf un fleuve tranquille. Car Michel Rocard savait créer la polémique, et surtout dans son propre camp. Chacun se souvient de la phrase célèbre: «La France ne peut accueillir toute la misère du monde», que Nicolas Sarkozy utilisa plus tard pour faire la leçon aux socialistes. La droite avait applaudi, plus d'un socialiste avait fait grise mine, notamment ceux qui, de près ou de loin, avaient participé quelques années plus tôt à la création de SOS-Racisme.

Et que dire du Livre blanc sur les retraites et de ce grand discours dans lequel Michel Rocard affirmera que la question du financement des retraites est «explosive» et susceptible de «faire sauter trois ou quatre gouvernements»? Le premier ministre évoque, timidement, un allongement de la durée de cotisations et des pensions moins généreuses. Mais, de réforme des retraites, il n'y aura pas, puisque François Mitterrand veillait, mais ce discours prophétique hantera longtemps les esprits socialistes.

Dans un contexte économique qui devient difficile, Michel Rocard ne peut pas offrir grand-chose au Parti socialiste. Pierre Mauroy réclame «quelques lois sociales qui ne coûtent pas cher», certains socialistes parlent de «déficit social». Rocard répond en expliquant qu'un premier ministre, même socialiste, a «un devoir de grisaille».

Les mois passent à Matignon et les relations avec François Mitterrand s'aigrissent irrémédiablement. Pourtant, Michel Rocard veut croire qu'avec le temps il a fini par apprivoiser le chef de l'État. «Le président, dit-il un jour, a fini par découvrir que j'étais capable de loyauté et je m'astreins à obéir à ses injonctions.» Erreur de jugement!

Le 10 mai 1990 au palais de l'Élysée.
Le chef du gouvernement est ostensiblement tenu à l'écart des affaires internationales, notamment de l'invasion du Koweït par l'Irak - il fait une croisière en Adriatique et on oublie quelques heures de le prévenir! - puis de la guerre contre l'armée de Saddam Hussein. C'est l'époque où Roland Dumas, le très mitterrandiste ministre des Affaires étrangères, explique à qui veut l'entendre, le sourire aux lèvres: «Michel Rocard est un barreur de petit temps.» Autre amabilité: «Il n'a pas de plexus!»

Au début du printemps 1991, après la première guerre du Golfe, François Mitterrand parle de la nécessité d'insuffler à la France «un nouvel élan». Chacun comprend que les jours de Michel Rocard sont comptés. Lui aimerait rester jusqu'aux législatives de 1993. Mais, le 15 mai, selon le mot qu'il emploiera plus tard, Michel Rocard est «viré» par François Mitterrand. Fait rare, dans sa lettre de démission, il écrira noir sur blanc que «sa tâche est inachevée». Le lendemain, Édith Cresson lui succède.

Un quart de siècle après son départ de Matignon, la gauche française en est toujours à se combattre, et les adversaires de Manuel Valls usent toujours contre lui des arguments utilisés jadis par les mitterrandistes contre Michel Rocard. Il est mort sans avoir vu la fin de «la guerre des deux roses».

 

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