lundi 11 juillet 2016

20160711 - News : Faut-il tout essayer sexuellement ?

Faut-il tout essayer sexuellement ?



[Chronique] La curiosité sexuelle doit-elle – et peut-elle – être sans limites ? Faut-il goûter avant de dire non, tout tenter pour ne rien rater ? La chroniqueuse Maïa Mazaurette répond aux chantres du tout-sexuel et de la dolce vita marathonienne et exhaustive.

Deux poids, deux mesures : alors qu’on apprend aux enfants à « goûter avant de dire non » (au risque de retrouver des traînées de purée carotte-camembert sur les murs), nous nous autorisons sexuellement à ne pas goûter. A détester avant d’essayer. A ne pas se faire notre propre idée. Comment justifier ce passe-droit ?

La question se pose parce que l’idée de tout essayer est finalement très implantée dans notre culture sexuelle. Les prétentieux se vantent d’avoir tout essayé, les gourmands de vouloir tout essayer.

La lecture d’un dictionnaire des paraphilies, ou des 120 Journées de Sodome, devrait poser un cadre à cet insondable appétit (nous sommes tous et toutes bien trop paresseux) : on appelle « effet Dunning-Kruger » ce biais de surconfiance qui veut que les personnes les moins compétentes sur un sujet ont l’impression d’en avoir fait trente fois le tour. Si quelqu’un prétend tout connaître en sexualité, ou avoir tout essayé, vous pouvez tabler sur sa virginité.

Univers fantasmatique en expansion

D’ailleurs, à quoi ressemble le « tout » ? Il existe quantité de cartes interactives permettant de se faire une idée de la largeur, et des largesses, de notre champ des possibles. Les niches non seulement se superposent les unes aux autres, mais se multiplient avec le temps : l’univers fantasmatique de l’humanité est en expansion, comme l’univers tout court.

Mais nous ne sommes pas, individuellement, l’humanité – nous avons des limites, forcément. Peut-être ces limites tomberont-elles avec la réalité virtuelle, mais nous n’en sommes pas encore là (ne vendons pas cette peau d’ours, très érotique sous la cheminée, au passage).

Comment pourrait-on se réclamer de toutes les sexualités – jusqu’où ? Les morts ? Les animaux ? Il faudrait vouloir coucher avec tous les humains, tous les non-humains, tous les objets, mais aussi avec la rosée du matin et un clafoutis aux cerises. Ce qui commence à faire beaucoup, même quand on est au chômage.

Voici dix exemples de ce qu’il faudrait « essayer avant de dire non » – dix possibles sur des milliers, en ne parlant que des cas recensés : la momification érotique, le fétichisme de la sueur et des aisselles, la zoophilie, la domination financière, la scatologie, la stimulation électrique, les maladies vénériennes. Et puis bien sûr, expérience sexuelle ultime : la chasteté. La frustration. La castration. Quoi, ne vouliez-vous pas tout essayer ?

Et même si c’était possible : serait-on meilleur coucheur parce qu’on a tout essayé ? Ou vaudrait-il mieux avoir moins essayé, mais mieux creusé son sujet ? L’essai implique une connaissance superficielle, un passage éclair (notez que sexuellement, d’habitude, on n’aime pas trop les passages éclair) : les vrais vantards ne devraient-ils pas plutôt vanter des spécialisations bien précises – un doctorat en anatomie interne, un master trilingue en cunnilingus ?



Vantardises

On plaisante, on plaisante, mais la question se pose de manière plus problématique que les simples vantardises après trois verres de rosé (au passage, avez-vous essayé le sexe en état de coma éthylique ? Si vous voulez tout essayer, c’est un incontournable).

La curiosité sexuelle peut en effet devenir une contrainte : une pression que l’on fait porter sur ses partenaires pour qu’ils acceptent des pratiques qui leur répugnent ou qui les indiffèrent. Les gays et surtout les lesbiennes connaissent bien le problème, eux et elles qu’on accuse régulièrement de préférer les relations homosexuelles faute d’avoir essayé les relations hétérosexuelles.

Ainsi, en Afrique du Sud, le viol correctif consiste à imposer des pénétrations aux lesbiennes pour qu’elles rentrent dans le droit chemin (surprise, surprise : ça ne marche pas). Et vous trouverez toujours des psychanalystes de comptoir pour affirmer que les prêtres pédophiles le sont parce qu’ils n’ont pas essayé avec une « vraie » femme.

On voit bien les limites de cet argument inlassablement utilisé pour « convaincre », plutôt les femmes, d’essayer le bondage (passif, comme c’est curieux) ou la sodomie (passive, tiens donc) : quand on parle de tout essayer, c’est surtout pour demander à l’autre de tout essayer.

Mourir idiot

Et en priorité le trio gagnant du fantasme pornographique martelé comme une normalité – triolisme, échangisme, sexe anal, comme si ne pas avoir couché avec deux blondes à 30 ans revenait à rater la Rolex de ses 50 ans. Vous admettrez que ça fait court, comme incarnation d’un hédonisme solaire.

Revenons donc à nos petits pots carotte-pomme de terre. Même s’il s’agit dans les deux cas de rapport au corps et au plaisir, la sexualité n’est pas la nourriture (elle n’est pas un besoin vital au niveau individuel, pour commencer). Et même en nourriture, on n’essaie pas tout : rangez immédiatement cette bouteille de Destop.

Alors même que l’accès à la sexualité est l’un des marqueurs du passage à l’âge adulte, la personne qui veut tout essayer traite son/sa partenaire comme un enfant.

Les pressions sont déjà considérables sur les jeunes gens, sommés, entre autres, de perdre leur virginité, de s’adonner au sexe oral, d’épiler leur corps, de montrer leurs parties intimes sur Internet, de jouir à tout prix.

Le discours que nous avons besoin d’entendre n’est certainement pas qu’il faut tout essayer sous peine de mourir idiot/e (la fameuse FOMO des millenials, fear of missing out : l’angoisse de rater une expérience), mais au contraire, de réapprendre à essayer quand on en a envie, quand on se sent prêt/e, en prenant la liberté de ne jamais tenter. De passer à côté.

La joie de snober

Prenons donc le parti inverse, si vous le voulez bien. Il se joue quelque chose d’infiniment intéressant dans le renoncement : choisir, c’est renoncer, et quand on choisit, n’est-ce pas qu’on aime ou du moins qu’on préfère ? Qu’on accepte que tout ne soit pas pareil, équivalent, horizontal ?

Nul éloge ici, en quatre volumes cousus de fil blanc, de la sublimation par l’ascèse, mais la simple constatation qu’on peut se satisfaire de n’avoir pas tout fait. Qu’on peut apprécier de rechigner, de se refuser – comme une position, ou comme un jeu, pour faire monter la tension sexuelle.

On peut au contraire préférer se projeter, se garder pour plus tard : ah, peut-être, oui, un jour, quand l’occasion fera le larron. Ou savourer le plaisir un peu acide qu’il y a à se démarquer de la masse – bah non, pas moi.

Réhabilitons la joie de snober. D’exercer son esprit critique. De laisser de côté des tendances qui nous semblent ridicules ou immorales (rappel : parler de morale n’est pas honteux, même en 2016 et même en terrasse). Il faut pouvoir dire non pour mieux crier que oui. Restreindre pour exploser.

Quoi qu’en disent les chantres du tout-sexuel, du carpe diem intimidant, de la dolce vita marathonienne et exhaustive : s’il fallait tout essayer avant de dire non, nous serions dégoûtés du sexe. Comme des enfants malheureux de n’avoir jamais appris la frustration. Qui ne tente rien n’a rien, mais qui tente n’importe quoi n’est pas plus avancé.

Retrouvez chaque dimanche matin la chronique sexe de Maïa Mazaurette dans La Matinale du Monde.
  • Maïa Mazaurette
    Journaliste au Monde
Source : Faut-il tout essayer sexuellement ?
Avis Pimpf : Très bonne rubrique et conclusion , car après tout à quoi ça sert de vouloir suivre les tendances, ou ce que dit tel ou tel magazine, on s'en fout des normes ou de ce qu'il faut faire, chacun vit sa sexualité comme il le souhaite avec qui il le souhaite du moment que ça se fasse dans le consentement et le respect mutuel, le reste vraiment n'est que phénomène de mode... est on vraiment si influençable que cela de nos jours?

Aucun commentaire: