Nicolas* a 40 ans aujourd'hui. Il y a quelques années, il a reçu un mail de son père, qui en quelques mots, en majuscules, a changé sa vie. Il mettait fin à un secret de famille qu'il pressentait sans en connaître l'existence, mais qui avait atrophié sa vie.
Le «secret de famille», concept utilisé en psychogénéalogie, peut relever de secrets connus à l'intérieur de la famille, et tus à l’extérieur (un enfant qui garde pour lui la violence dont il a été victime par exemple). Ou bien ils peuvent être connus de quelques uns seulement, et tus aux enfants: une mère qui ne dira jamais qu’elle a été abusée par son propre père. Un couple d’agents secrets qui dissimule à ses enfants sa vraie identité.
Les suintements du secret
Quelle que soit leur nature, les secrets de famille charrient, avec le silence, la douleur. Ils entravent souvent le parcours scolaire des enfants, peuvent avoir des conséquences importantes sur la santé. Ils peuvent perturber le développement affectif et émotionnel des enfants, leur compréhension des autres, leur lecture du monde. Le psychiatre Serge Tisseron décrivait ainsi dans le magazine Sciences Humaines en 2002:
«C'est, par exemple, le cas de la mère qui regarde son enfant en souriant puis cesse brusquement de sourire et s'assombrit. Ou bien, c'est le cas du père qui tient son enfant sur ses genoux en regardant la télévision, et se raidit soudain en écartant l'enfant. Ces changements brutaux d'attitude, de mimique, de comportement ou d'intonation ont toujours une cause précise. Par exemple, la mère a cru soudain voir dans le regard de son enfant, ou même dans la seule forme de son visage, quelque chose qui lui a rappelé le visage de son propre frère à un moment où elle a eu très peur de lui. Le père qui regardait tranquillement la télévision a soudain été bouleversé parce qu'un mot ou une image a réveillé un souvenir terrible de son histoire passée. A travers ces "suintements" du secret -qui peuvent être aussi bien des mots répétés, des lapsus ou des comportements-, l'enfant pressent une souffrance chez son parent.»
Quand la vérité surgit –avec brutalité forcément: elle crève la sédimentation des mensonges– tout peut recommencer. Car si le mensonge dans une famille est «destructeur» selon les mots de Nicolas, le dévoilement devient l’opportunité de tout reconstruire, de comprendre enfin les regards étranges, les soupirs, la noirceur plus ou moins enfouie. Et de devenir celui que l’on aurait pu être plus tôt, si le mensonge n’avait pas retardé les choses. C'est ce qui est arrivé à Nicolas, qui, en apprenant la vérité sur l'identité de son père, a pu trouver la sienne: «Si mon père n'est pas celui que je crois, alors je ne suis pas celui que je pense être, je suis... quelqu'un d'autre».
L'épisode de Transfert est signé Agathe Le Taillandier, réalisé par Lola Costantini.
*Le prénom Nicolas a été changé.
Article de Charlotte Pudlowski pour Slate
samedi 2 juillet 2016
20160702 - News : Un jour, Nicolas reçoit un email: son père lui avait menti toute sa vie | Slate.fr
Un jour, Nicolas reçoit un email: son père lui avait menti toute sa vie | Slate.fr
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