De nombreuses voix, dans l’opposition travailliste, mais également parmi les tories, se sont élevées pour dénoncer les mesures annoncées lors du congrès du Parti conservateur
La première ministre britannique, Theresa May, en projetant de montrer du doigt les entreprises qui emploient des étrangers, a-t-elle compromis l’image d’ouverture du Royaume-Uni, au point d’aggraver les conséquences du Brexit pour l’économie et de faire plonger la livre sterling ? Pour tenter d’apaiser ce débat, son gouvernement a été contraint de faire marche arrière sur son projet visant à exiger des employeurs qu’ils publient la liste de leurs salariés étrangers. Plusieurs ministres ont été envoyés sur les plateaux de télévision, dimanche 9 octobre, pour expliquer que ces données seraient collectées, mais qu’il n’était « pas question de les rendre publiques » ni de « nommer » les entreprises mauvaises élèves.
Devant le public acquis du congrès du Parti conservateur, la semaine dernière, plusieurs mesures destinées à répondre au message anti-immigrés des électeurs lors du référendum sur le Brexit avaient été annoncées : outre les listes visant à « débusquer » les entreprises qui préfèrent embaucher des étrangers plutôt que de former des Britanniques, la ministre de l’intérieur, Amber Rudd, avait annoncé des restrictions visant l’arrivée de nouveaux étudiants étrangers. Son collègue chargé de la santé, lui, avait indiqué que le système de santé allait, à terme, devoir se passer de médecins étrangers. Mardi, dans le Times, un ancien ministre de l’immigration, Mark Harper, a même suggéré de remplacer des Européens par des handicapés britanniques.
Le message hostile aux « non-British » a été confirmé lorsque le Foreign Office a informé des universitaires de la prestigieuse London School of Economics que le gouvernement n’emploierait plus d’experts non britanniques pour des consultations sur les questions liées au Brexit, par crainte de fuites vers les pays de l’UE.
Après les acclamations du congrès, le retour de bâton a été rude pour Mme May. Non seulement le chef du Labour, Jeremy Corbyn, a estimé que le Parti conservateur avait « touché le fond en soufflant sur les braises de la xénophobie », non seulement Nicola Sturgeon, première ministre (indépendantiste) d’Ecosse, a qualifié de « hideuse » la vision du Brexit de Mme May, mais des voix conservatrices et patronales se sont élevées dans le même sens. Steve Hilton, ancien conseiller de David Cameron et militant acharné pro-Brexit, a trouvé les mots les plus durs : le projet de fichage des entreprises ouvertes aux étrangers est « clivant, répugnant et terriblement bureaucratique ». Le gouvernement aurait pu tout aussi bien annoncer que « les étrangers devraient se faire tatouer un numéro sur l’avant-bras », a-t-il été jusqu’à écrire dans le Sunday Times.
Organe des milieux d’affaires, le Financial Times accuse la première ministre de « jouer avec le feu », en doutant que « sa tactique permette d’aboutir à un meilleur accord pour le Royaume-Uni » lors du Brexit. Quant à Carolyn Fairbairn, présidente du CBI, principale fédération de chefs d’entreprise, elle a mis en garde lundi contre le risque de « fermer les portes » et cloue au pilori le message du gouvernement May selon lequel il y aurait « quelque chose de honteux [pour les entreprises britanniques] plutôt qu’une source de fierté, à attirer les meilleurs talents du monde entier ».
La City et les milieux patronaux, qui ont l’habitude d’être davantage écoutés à Downing Street, reprochent de plus en plus ouvertement à Theresa May de privilégier la baisse des flux d’immigration, y compris européens, sur l’intérêt de l’économie et de l’emploi, et de rester sourds à leurs avertissements. Seul le ministre des finances, Philip Hammond, fait entendre une autre musique : « Les Britanniques n’ont pas voté pour être plus pauvres et moins en sécurité », a-t-il mis en garde. Selon le Trésor, un « hard Brexit » pourrait coûter jusqu’à 9,5 % du PIB britannique.
La possible perte du « passeport » qui permet à la City d’effectuer les transactions en euros nourrit toutes les inquiétudes qu’exprime la poursuite de la chute de la livre sterling. Mais plutôt que de voir dans la réaction des marchés la conséquence des annonces de MmeMay favorables à la sortie du marché unique européen, son gouvernement préfère accuser l’étranger. Lundi, devant les députés, David Davis, ministre chargé du Brexit, a affirmé que les déclarations de François Hollande avaient « en partie provoqué » la chute de la livre. Le président français avait estimé, vendredi, que le Brexit « devait avoir un prix ».
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