Par l'adoption ou l'insémination à l'étranger, elles choisissent de se lancer dans la maternité, sans père. Quel regard la société porte-t-elle sur elles ? Comment ont-elles pris cette décision ? Six d'entre elles se sont confiées à «Libération».
Elles ont fait un bébé toute seule, mais pas comme le chantait Goldman en 1987… Ni «filles-mères» d’autrefois ni amazones envoyant valdinguer pour de bon la gent masculine, elles ont en commun un désir d’enfant solidement ancré. Et tant pis si elles n’ont pas trouvé le père, elles ont décidé de se lancer seules, quitte à trouver un partenaire par la suite. Car, paradoxalement, la majorité d’entre elles chérit un modèle de famille «traditionnelle». La sociologue et directrice de recherche au CNRS Dominique Mehl s’est penchée sur le parcours et les motivations de ces «mamans solo», dans un livre paru en cette rentrée (1). Même si elles ne représenteraient pour l’heure que 1,6% des maternités actuelles, elles semblent bien parties pour être de plus en plus nombreuses. Comment vivent-elles cette expérience ? Quel regard leur entourage porte-t-il sur elles ? Comment envisagent-elles l’avenir ? Six de ces «mamans solo» se sont confiées à Libération.A LIREUn jour, un père viendraSophie, 41 ans, consultante à Paris, un bébé de 3 mois : «Les hommes vont finir par se dire qu’on a de la chance»«J’ai pris la décision de faire un enfant seule quand j’ai compris que mon compagnon freinait des quatre fers. J’avais 39 ans. Il me disait de ne pas me sentir coincée par mon horloge biologique, que les histoires de fertilité qui baisse après un certain âge ne sont que des statistiques. Ce qui est faux. Et nous, les femmes, ne sommes pas assez informées sur cette question. J’ai fini par me séparer de lui et me lancer dans une insémination avec donneur à 40 ans, à l’étranger.
Je suis assez indépendante. Je n’ai pas forcément besoin d’être en couple. Le problème le plus important pour moi, c’était que ce bébé n’ait pas de père. Je me disais que je vais le priver sciemment d’un père. Mais mon désir était trop fort. Et j’avais le sentiment d’être très entourée. Par ma famille, mes amis. Je savais que cet enfant ne serait pas dans une situation de face-à-face avec moi. Aujourd’hui, je me dis que cette absence de père n’est pas gravissime, mais quand même. En revanche, ça ne m’a posé aucun problème de vivre ma grossesse seule. Et pour l’accouchement, c’est une copine féministe qui a deux enfants, et pour laquelle toutes les parentalités sont possibles, qui m’a accompagnée.
Là, mon bébé a un âge auquel on est ultra-dépendant. Et je suis la «seule» ultraresponsable. Le seul pilier, même si j’ai des coups de main. Mais je ne suis pas plus seule que celles qui ont un mari militaire, par exemple. En revanche, j’angoisse aussi sur ce qui se passerait si je disparaissais. Je veux vraiment que mon enfant soit entouré que je ne sois pas sa seule famille. Avec un compagnon ou pas.
Avant les hommes et les femmes étaient obligés de se marier et de faire des enfants. Aujourd’hui, on est libres de ses choix. Et on peut faire un enfant seule. Les hommes vont finir par se dire qu’on a de la chance. Quand un homme veut un enfant seul, c’est quand même plus compliqué pour eux. Mais quand je repense à cette insémination, je me dis que c’est étrange que des pays aussi variés autour de nous autorisent le don de sperme (Espagne, Grande-Bretagne, Danemark, Espagne) et pas la France censée être ouverte. Le patriarcat est-il justement encore si important ? Je me demande, même si comme maman solo je me sens aujourd’hui, moins jugée qu’une femme divorcée dans les années 50.»
Raïssa, 38 ans, juriste, un enfant de 5 mois : «L’enfant d’abord, peut-être un papa de cœur après»«J’ai toujours eu une envie viscérale d’avoir un enfant. Ado déjà, je me disais je le ferai avec ou sans compagnon. La chanson de Goldman m’a toujours parlé. A 25 ans, après une rupture, je me suis dit : je ne veux pas avoir à regarder ma montre, et m’engager avec quelqu’un juste pour faire un enfant. Je me suis fixée un ultimatum : si à 30 ans, je n’avais pas de relation sérieuse depuis plus de cinq ans, je le ferai seule. Bref, l’enfant d’abord, et peut-être un papa de cœur après. L’adoption s’est révélée trop fastidieuse. J’ai envisagé une coparentalité, mais je suis surtout tombée sur des sites glauques. Enfin, je n’aurais jamais pu faire un enfant dans le dos d’un homme, c’est horrible. Quand on voit la souffrance de certains qui se battent pour voir leurs enfants, ou qui ont un vrai désir de paternité qu’ils ne peuvent satisfaire, impossible. J’ai opté pour un don de sperme. Je trouve d’ailleurs scandaleux que dans ce pays l’accès à des dons soit aussi restreint. Les tribunaux sont remplis de familles traditionnelles dysfonctionnelles !
Lorsque j’ai parlé de mes projets à mon entourage, certains m’ont traitée d’égoïste. Mais je crois que le besoin, le désir d’enfant est toujours égoïste, narcissique. J’ai opté pour Cryos au Danemark, où je pouvais choisir un donneur non anonyme. J’avais lu des tas de choses sur les enfants nés de don et cela me semblait important. J’ai fait cinq tentatives. A chaque fois, cela coûte entre 3 000 et 5 000 euros (l’achat du sperme, le voyage etc.). Faut vouloir, mais faut pouvoir aussi. Qui a dit que la vie n’a pas de prix ?
Aujourd’hui, je n’exclus pas de trouver un père, même si je me débrouille bien. Mais j’aurais bien aimé avoir un compagnon quand je me suis mise à chercher des prénoms. Je n’ai pas fait un enfant pour moi. J’ai créé une famille. Une famille monoparentale pour l’instant. Et mon enfant saura tout de son histoire. Mes amis sont au courant. Leurs enfants aussi. Je fais simplement attention à ce que je raconte quand je sens que les gens sont tradi.»
Maeva, 31 ans, agricultrice dans le Lot-et-Garonne, 3 enfants de 9 ans, 7 ans et 2 mois : «Le troisième enfant, je me suis dit : je le fais seule»«On s’est séparés avec le père de ma première fille après sa naissance. Le père de ma seconde fille est décédé avant la naissance. Quand j’ai eu envie d’un troisième enfant, je me suis dit : je le fais seule. L’adoption c’est galère. Et j’avais pas envie de me lancer dans la recherche d’un géniteur malgré lui à une soirée. Je suis allée sur des forums de personnes qui pratiquent l’insémination artisanale. Le donneur et la réceptrice se donnent rendez-vous à des jours précis dans des hôtels. Je suis agricultrice, c’est impossible pour moi. Et puis on n’est pas sûr que les mecs ont fait le test de dépistage du sida, de l’hépatite, etc. Du coup, je me suis renseignée sur la durée de conservation du sperme. Quand j’ai vu que je pouvais en commander du congelé au Danemark, je me suis dit que c’était pour moi. Et tant qu’à faire cet enfant seule, j’ai choisi un donneur anonyme. Avec les caractéristiques que je voulais.
Je voulais vraiment cet enfant, et j’avoue que je me suis surtout posée des questions pratiques. Sur la livraison du sperme, par exemple. Pourquoi on ne légifère pas en France pour élargir le cercle de ceux qui peuvent obtenir un don ? C’est ridicule. On donne des sous à l’étranger. Et ce blocage sur les célibataires et les homos n’a pour seule conséquence que de pousser les gens à se tourner vers d’autres pays. Ceux qui veulent vraiment se débrouillent. Je ne cacherai rien de son histoire à ma fille. Un quatrième enfant ? Pourquoi pas. Peut-être un homme à nouveau dans ma vie ? Pourquoi pas. En tout cas, ce sera à lui de s’adapter. Et, en ce moment je me sens très bien toute seule.»
Ingrid, bientôt 41 ans, cadre dans un casino des Pyrénées, une fille de 9 mois : «Il y a aura de plus en plus de maternités célibataires»«Autour de moi, à partir d’un certain âge, tout le monde s’est mis à avoir des enfants. Mon tour ne venait jamais. Je n’ai pas vraiment eu de compagnon stable. A la base, je voulais une famille normale. Mais après un énième échec alors que j’allais avoir 38 ans, je me suis résolue à me lancer seule. Je ne voulais surtout pas avoir à me dire : voilà, t’es toute seule, et pendant toute va vie, t’as fait que bosser. Pour moi, il n’était pas question de couillonner un mec. J’avais regardé l’adoption, mais c’est trop compliqué. Comme je travaille le week-end et les jours fériés, je n’aurais jamais eu agrément. J’ai opté pour insémination avec donneur en Espagne, chez Eugin. Premier rendez-vous en janvier 2014. J’en ai eu en tout cas pour 2 000 euros. J’ai pris un petit crédit. Après un deuxième échec, j’ai fait une pause, sans renoncer, le temps de me refaire une santé financière.
En mars 2015, j’ai pu retenter et ça a marché. Bien sûr, je me suis demandée comment mon enfant allait faire pour vivre sans papa. Mais la loi espagnole n’autorise que les dons anonymes. Je sais seulement qu’on m’a donné le sperme de quelqu’un qui me ressemble pour éviter les problèmes identitaires. Etait-il beau, moche ? Ça ne m’obsède pas du tout. Après mon congé maternité, j’ai déménagé près de chez mes parents qui sont très “ouverts” et auxquels je n’ai rien caché. Je suis très épaulée. Bien sûr j’aimerais bien trouver un homme. Mais, là, je ne cherche plus, je suis heureuse. Je vois que ces maternités célibataires se développent de plus en plus. Il y en aura de plus en plus. On nous a parlé carrière et… Il y a aussi les couples homos qui veulent avoir accès aux dons. La maternité c’est pour tout le monde, non ? En France, on est en retard.»
Pauline, 37 ans, expert-comptable, Paris, enceinte de 4 mois : «Je préférerais mourir tout de suite que de savoir que je n’aurai jamais d’enfant»«A 35 ans, j’ai commencé à réfléchir à mes histoires de cœur. Je me suis dit que je n’avais pas su conjuguer réussite professionnelle et succès amoureux. En septembre dernier, j’ai eu un déclic : “Il faut que tu avances. Tu vas avoir 37 ans, c’est cuit.” Autour de moi, tous mes amis sont mariés et ont des enfants. Je me sentais marginale. L’idée qu’il fallait scinder l’amour de la maternité s’est finalement imposée à moi. J’ai fait appel à une banque de sperme danoise. C’était la solution de ma vie : pas besoin de me déplacer, choix sur catalogue, zéro maladie… J’ai fait quatre inséminations, pour 15 000 euros. Je me sentais davantage capable de me lancer dans un processus hasardeux, encore tabou et interdit, plutôt que me retrouver à 50 balais névrosée, sans gosse. Je préférerais mourir tout de suite que de savoir que je n’aurai jamais d’enfant.
Récemment j’ai croisé un ancien collègue, qui m’a demandé si j’étais enceinte “comme dans la chanson de Goldman”. J’ai prétexté que le père n’est pas très disponible… Ce n’est pas un choix : je préférerais être avec un homme. Je rêve de rencontrer quelqu’un et qu’on fasse les trois prochains ensemble. Je crains d’éprouver une certaine forme de culpabilité : qu’est-ce que va ressentir ce gosse sans père ? Qui sera avec moi à l’accouchement ? Qu’est-ce que je vais dire à l’enfant ensuite ? Que son papa est au Danemark ? Qu’il a un autre papa, quand j’aurai rencontré quelqu’un ? J’appréhende les questions des autres. Je n’ai ni envie d’être jugée ni de me justifier. D’ici là, j’espère que j’aurai trouvé un mec, c’est mon challenge désormais. Ce gosse, je vais me battre pour qu’il ne m’en veuille pas. J’ai l’impression que quand on fait un enfant avec quelqu’un, on tombe assez vite dans une autre catégorie : on n’est plus la petite princesse de son mec, mais la mère des gosses, comme rangée dans un placard, qu’on ne regarde plus comme une femme. Je préfère le chemin que j’ai pris – même s’il est escarpé, complexe – à un couple pourri, qui explose. Mais cette maternité solo est ambiguë et complexe pour moi, à cause de mon éducation : j’ai en tête le montage du siècle d’avant, mais je vis avec les méthodes d’aujourd’hui. C’est comme si j’étais deux personnes, qui vivent ensemble mais ne se bagarrent pas.»
Suzanne, 30 ans, conductrice de travaux, Paris : «Je laisse une porte ouverte à un schéma plus simple»«Depuis quelques mois, je réfléchis sérieusement à faire un bébé seule. Dès mes premières règles, j’ai ressenti comme une forme d’urgence d’avoir des enfants, qui commence clairement à s’éterniser à 30 ans. J’ai d’abord fantasmé sur le modèle "classique". Au cours de ma dernière relation longue, qui a duré trois ans, on a parlé assez vite de devenir parents. Lui avait des problèmes de fertilité, alors nous avons entamé une procédure d’insémination artificielle. Il m’a quittée presque aussitôt, dès que c’est devenu réel. J’étais amoureuse, donc j’ai du faire le deuil de cette relation, mais le plus dur, c’était l’enfant. Petit à petit j’ai réalisé que mon désir d’enfant pouvait être détaché de lui. L’idée que le couple n’est ni une nécessité ni une fatalité s’est finalement imposée à moi. L’organisation ne me fait pas peur. A la rigueur, la seule chose qui m’a posé question, c’est le bien-être de l’enfant. Avoir un seul parent, ce peut être une forme de léger handicap social. Mais dans le fond, on a tous des handicaps de ce genre : familles monoparentales, couples conflictuels…
Il est vrai que le schéma classique est socialement plus accepté. Je sais que dans le milieu où je bosse, qui est assez macho, si je dis qu’il n’a pas de père, on va me juger. Mais ce n’est pas parce que je me lance seule que je ne peux pas rencontrer quelqu’un par la suite. Je suis très entourée, j’ai beaucoup d’amis, il aura d’autres modèles. Me faire inséminer à l’étranger n’est pas vraiment dans mes moyens. D’autant que cela implique des traitements lourds, des séjours prolongés sur place… le tout sans garantie de résultats. L’adoption ? On nous demande de prouver qu’on est de bons parents, alors qu’à mon sens, on ne peut le démontrer avant de le devenir. Je ne veux pas de coparentalité, que je vois comme une grosse contrainte, sans les avantages du couple. Alors depuis peu, je me suis inscrite sur des groupes Facebook spécialisés dans le don de sperme, mais je ne suis pas dans une recherche effrénée, je me laisse un an… Comme une porte laissée ouverte à un schéma plus simple.»
(1) Maternités solo, Editions universitaires européennes, 2016. Disponible en version numérique et papier.
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