A force d’entendre parler du projet de métro automatique Grand Paris Express depuis 2008, on avait fini par oublier qu’il faudrait un jour le creuser. Ce jour, c’est maintenant. Après avoir été projetés, négociés, dessinés, financés, concertés, enquêtés, déclarés d’utilité publique et progressivement attribués aux constructeurs, les 205 kilomètres commencent à se traduire en chantiers. On n’en est pas encore aux tunneliers, qui ne perceront qu’à partir de 2018, mais la construction des gares est lancée. Et se révèle plutôt spectaculaire.

Pour le donner à voir, la Société du Grand Paris (SGP), commanditaire de l’ouvrage, a organisé fin février une visite au long de la future ligne 15 sud, qui part du pont de Sèvres (à l’ouest) pour rejoindre la gare de Noisy-Champs (à l’est). A bord de l’autocar, on apprend que la ligne mesure 33 kilomètres, traverse 22 communes, comporte 16 gares, dont 15 en interconnexion avec les réseaux métro et RER. Elle concernera un million de personnes et doit ouvrir avant 2025.

Tournicotis

A Sèvres, on apprend aussi de la bouche d’Isabelle Rivière, chargée des relations territoriales, que le maire de l’époque, François Kosciusko-Morizet (le père de NKM), «aurait bien aimé avoir la gare sur sa commune». Mais à Boulogne, l’interconnexion avec le métro 9 était bien meilleure. «M. Kosciusko-Morizet a accepté de n’avoir que le puits de ventilation.» Isabelle Rivière, qui a mené des dizaines de négociations de ce genre, souligne qu’il faut «saluer les élus qui acceptent un puits. Une gare, c’est sexy, un équipement comme ça…»

Une gare du Grand Paris Express est une boîte de 109 mètres de long sur 22 à 25 mètres de large. Ces parallélépipèdes seront glissés dans le sous-sol plus ou moins profondément et s’accompagneront en surface d’une construction bien plus ambitieuse qu’une bouche de métro. Les 68 nouvelles gares ont été confiées à des architectes, et à peu près toutes les célébrités du secteur ont été servies. Pour le génie civil, en revanche, il n’existe pas tant de joueurs capables de répondre aux appels d’offres d’un projet de 24,9 milliards d’euros.

Côté ingénierie, les deux tronçons de la ligne 15 sud ont été attribués aux sociétés Ingérop et Systra. La construction elle-même fait l’objet de huit marchés dont les deux plus gros sont celui que pilote Bouygues (entre Villejuif et Créteil, 6,6 kilomètres de tunnel, 807 millions d’euros) et Vinci Construction (entre Fort d’Issy-Vanves-Clamart et Villejuif, 8 kilomètres, 926 millions d’euros). Les marchés comportent des clauses réservant 20 % des dépenses aux PME et 5 % d’emplois d’insertion.

Dès septembre, les 4,7 kilomètres de tunnel entre la ¬ligne et le site de maintenance de Bry-Villiers-Champigny ont été remportés par le groupement Alliance, piloté par Demathieu Bard, entreprise ne faisant pas partie du club des majors mais qui, pour faire bon poids, s’était alliée avec des italiens et des belges. Un marché de 363 millions seulement, si l’on ose dire, mais la présence de constructeurs étrangers «a fait grincer les dents», admet-on à la SGP.

Le savoir-faire n’est sans doute pas réservé aux français mais pour réaliser ce métro, il va en falloir. Entre Pont-de-Sèvres et Clamart, «tous les ouvrages sont dans l’eau et il y a trois traversées sous-fluviales», explique Guillaume Pons, le directeur de la ligne, tandis que nous longeons le fleuve. Entre Châtillon et Arcueil-Cachan, ajoute-t-il, «nous avons un sujet géologie». 5 kilomètres de carrières. Contrairement au métro parisien qui passe sous les rues, le Grand Paris Express tracera sa voie dans les profondeurs (à 40 ou 50 mètres par endroits), ce qui permet de s’affranchir des tournicotis de la voirie, de tracer de grandes lignes droites et de vastes courbes pour atteindre une vitesse moyenne de 110 km/h (55 km/h dans Paris).





«Ripage»

Nous voilà devant la gare SNCF de Clamart. Ici s’ajoutera celle de Fort d’Issy-Vanves-Clamart. Sa «boîte» sera glissée sous les voies actuelles, après avoir été construite en surface puis poussée : cela ¬s’appelle un «ripage» – on peut voir la vidéo du premier, à Champigny en janvier. Ce deuxième est prévu le 15 août : la population est invitée à partager ce moment spectaculaire.

Le car poursuit son trajet. On longe quantité d’immeubles d’habitation qui profiteront un jour du métro mais vont d’abord déguster les nuisances. A ¬défaut de pouvoir diminuer les décibels, la SGP distribue de l’info à haute dose aux riverains. «Nous avons des comités de suivi des travaux tous les deux mois et je fais des réunions de quartier à la demande», explique Isabelle Rivière. «Elle va tout le temps chez les gens, elle prend le café», chuchote Philippe Yvin, le président du directoire de la SGP, admiratif. A Clamart, le chantier va se dérouler pendant dix-huit mois, jour et nuit. Se soucier des voisins est la moindre des choses, éviter des recours au tribunal est prudent aussi.

Quatre futures stations plus loin, le chantier de la gare de Cachan, où le Grand Paris Express se connectera au RER B, donne une idée de l’environnement sonore. Le marché a été déménagé à 100 mètres de là, «à nos frais», précise Yvin. Le Café du marché, lui, est resté sur place, comme la pharmacie et la retoucherie, tous trois aux premières loges du potin. A nouveau, une gare va se glisser sous les rails du train, du RER B en ¬l’espèce. Vu l’âge vénérable de la «ligne de Sceaux», qui remonte au XIXe siècle, la RATP a préféré s’occuper elle-même de la construction d’un pont pour soutenir ses voies. La SGP se chargera, elle, du ripage de sa boîte, le week-end de la Toussaint. Avec arrêt de la circulation des RER évidemment.

«Chance inouïe»

Entre Cachan (altitude 42 mètres) et Villejuif, le car grimpe par des rues sinueuses vers l’Institut Gustave-Roussy, perché sur une butte en haut du parc des Hautes-Bruyères (120 mètres). Le métro va devoir faire le même trajet en sous-sol, sachant que le matériel ferroviaire n’apprécie pas trop les pentes de plus de 5 %. La gare Villejuif-Institut-Gustave-Roussy va donc être l’une des plus profondes de la ligne, à plus de 40 mètres. Les premières études la plaçaient à - 70. «On l’a remontée au maximum», dit Guillaume Pons. Mais, mais, mais… comme ce sera un grand fût à ciel ouvert, il se peut que la lumière du jour atteigne le fond. Très fort. Pour le moment, sur le site, il n’y a rien sauf le premier adjoint au maire, Jorge Carvalho, qui accueille les visiteurs.

A Villejuif, les lignes 14 (Saint-Denis Pleyel-Aéroport d’Orly, à terme) et 15 vont se croiser. «On a une chance inouïe de faire partie de ce noyau des transports», s’enthousiasme l’élu, qui souligne le projet de 3 300 logements prévu pour accompagner l’arrivée du métro. La gare va consommer 7 500 m² du parc. «Un don ¬foncier de la ville, ce qui n’est pas si courant», note le président du directoire. Il vient d’acheter 29 hectares sur l’ancien site des usines Peugeot d’Aulnay-sous-Bois pour y mettre un des centres de maintenance du métro. PSA ne lui en a pas fait cadeau : «29 millions, 100 euros le mètre carré mais PSA paie la dépollution. Ça nous met le prix final à 70. C’est une bonne affaire…»

Villejuif aura deux gares : la seconde est en centre-ville, au terminus de l’actuelle ligne 7. Sur l’avenue Louis-Aragon, toute une rangée de bâtiments viennent d’être démolis. Le métro a beau traverser les tréfonds, il lui faut pas mal d’émergences en surface, et quand elles rencontrent une construction qui barre le chemin, on la démolit. La SGP bénéficie d’un droit de passage dans les sous-sols, sorte de servitude qui lui évite d’avoir à acquérir des cubages démentiels de tréfonds. En surface, elle achète. Nombre de bâtiments et terrains ont été acquis grâce aux talents de négociatrice de Marie-Françoise Hébrard, «une star du métier», précise Yvin. En tout cas, d’une efficacité incontestable : les instances judiciaires contre les expropriations sont «marginales», assure-t-on à la SGP. Et vu qu’on arrose abondamment les chantiers de démolition pour éviter la poussière, le Café des Sports de Villejuif a, paraît-il, pu garder sa terrasse ouverte.