Le groupe britannique réussit dans son nouvel album Spirit à rester à l’avant-garde de la pop tout en s’adressant à un large public. Il met magistralement en musique l’inquiétude de notre temps.
Quand on est un groupe de pop mondialement connu, la difficulté au fil des années c’est de rester soi-même tout en évoluant. De jouer pour le plus grand nombre tout en maintenant un niveau d’exigence artistique élevé. Un équilibre complexe dans lequel Depeche Mode est passé maître, comme le prouve, une nouvelle fois, l’album Spirit (1) sorti le16 mars. Grave et dense, incroyablement maîtrisé, il fait entendre en douze chansons les inquiétudes de la maturité face à notre époque.
Des anglais aux origines modestes
Car, aujourd’hui, Depeche Mode est quinquagénaire et le trio qui le compose – Dave Gahan, Martin Gore, Andy Fletcher –, chante cet effarement du milieu de la vie, quand la révolte adolescente semble dépassée, mais qu’il est encore possible d’agir, d’influer sur le cours des choses, de défier le temps soudain compté. « Autrefois nous avions des illusions/maintenant nous n’avons plus d’excuses », chantent-ils dans un des sommets de Spirit, la ballade désenchantée The Worst Crime, au lent tempo, qui s’élève au fil des couplets jusqu’à un final sec et poignant.
De leurs débuts à Basildon, morne ville de l’Essex – où ces Anglais aux origines modestes ont pris leur envol à la fin des années 1970 sur le terreau de la musique punk et new wave –, à la sortie triomphale de leur 14e album lancé le 16 mars par un grand concert dans la mythique salle de la Funkhaus à Berlin, ils ont fait du chemin.
Ils sont passés d’un look de « boys band » aux coiffures ridicules et aux chansons un peu sautillantes de leurs débuts, à une période créative saturée de sons synthétiques jusqu’à l’excès. Puis à un son plus rock dans lequel s’entendaient l’angoisse et la rage des jeunes Britanniques des années « No Future », mais déjà domptées en des mélodies sophistiquées portées par des tempos explosifs.
Et ensuite à des années d’excès de rock stars, qui avaient fait craindre aux fans que Depeche Mode perde son talent dans la drogue et ne retrouve jamais le chemin des studios, ou alors pour simplement y parodier sa grande époque.
Un album d’une grande puissance artistique
Et voilà Spirit, album dépouillé où les émotions et les tourments, toujours audibles, sont contenus, sous-jacents, en une création sous tension d’une grande puissance artistique. Où sont passées « la spiritualité », « la révolution », s’interroge Depeche Mode.
« On recule/tournant le dos à l’histoire/s’accrochant à nos misères/nous avons perdu nos âmes », redoute Going Backwards, le morceau qui ouvre l’album. « On recule/avec nos nouvelles technologies/on peut déverser sa haine sur des consoles/et on ne sent rien au fond de soi/et on n’a rien au fond de soi », scande Dave Gahan.
Sa voix est sombre et puissante, comme la musique de Depeche Mode. Les instruments électroniques sont bien là, les distorsions de son aussi, mais au service d’une partition pop impeccable, au croisement de Kraftwerk et de David Bowie.
Une sorte de « blues de Blancs » comme seuls les groupes britanniques savent le faire entendre aujourd’hui. Et parmi les douze chansons de Spirit, un véritable diamant noir, Cover me, hypnotique montée sonore avançant lentement vers un final instrumental aux résonances virtuoses, comme le battement d’un cœur affolé.
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Depeche Mode
Le groupe a été fondé en 1979 à Basildon (Essex). Sa pop synthétique en a fait un nouveau symbole de la musique britannique. Renouvelant sans cesse son inspiration, Depeche Mode a sorti 13 albums (Spirit est le 14e), et vendu plus de 100 millions de disques. Il est composé de Dave Gahan (chanteur, 54 ans), Martin Gore, (compositeur, parolier et guitariste, 55 ans) et Andy Fletcher (claviériste, 55 ans).
Cinq albums importants
Black Celebration (1986) est un premier point d’orgue, qui fait résonner avec puissance la colère des années Thatcher, avec des chansons complexes et un chant grave. Il rend hommage au compositeur Philip Glass.
Music for the Masses (1987), enregistré en France (à Suresnes), est l’album de la consécration internationale, avec la chanson Never Let Me Down Again.
Violator (1990) est un apogée pour Depeche Mode, un album innovant au plan artistique, et accessible au plus grand nombre. Ses titres les plus connus, Enjoy the Silence et Personal Jesus sont joués dans les stades.
Playing the Angel (2005) marque le retour de Depeche Mode après une éclipse, et porte la pop électronique à son meilleur.
Spirit (2017) est un album de maturité, cohérent et dense.
(1)Spirit, un CD, Columbia/Sony, 15,99 €. En concert le 12 mai à Nice, le 29 mai à Lille, le 1er juillet à Paris (Stade de France).
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