Depeche Mode éclaire l’obscur - Culture / Next
Les stars britanniques reviennent avec un quatorzième album ténébreux où s’affine leur son.
Il est toujours fascinant d’être confronté aux mesures drastiques visant à éviter les fuites des rares albums d’artistes dont les ventes sont encore significatives. Ecoute en petit comité, avec clause de confidentialité, ou au casque sous surveillance de l’unique exemplaire d’un disque conservé dans un placard fermé à double tour… Spirit, le quatorzième album de Depeche Mode, s’ouvre sous conditions. Livrant depuis 1997 avec une précision d’horloger un nouveau disque tous les quatre ans, le trio anglais est loin de ses pics créatifs et commerciaux, mais reste l’un des poids lourds de l’industrie musicale, avec plus d’un million de copies de Delta Machine, classé 31e des ventes mondiales en 2013. Ceci posé, qu’attendre d’un groupe présent depuis plus de trente-cinq ans et dont chaque livraison, de plus en plus sombre, est d’abord destinée à vendre des billets de concert ? Rien, et c’est ce qui rend ce Spirit d’autant plus agréable. Après trois albums qui mixaient avec routine chansons tristes-obsessions blues-titres nerveux, Depeche Mode s’est acoquiné avec James Ford de Simian Mobile Disco pour évoluer à défaut de se réinventer. Lourd et pessimiste, Spirit surprend par sa cohérence sonore. Le sound design est impressionnant de précision et de puissance, les ambiances sont plombées à souhait, et le mix entre guitares et électronique fonctionne à merveille. Expression d’une vision du monde désenchantée, dans laquelle il n’est pas difficile de voir le reflet de la situation politique, Spirit se permet une entame empreinte d’emphase avec Going Backwards et ses paroles catastrophistes, suivi du single Where’s the Revolution, appel engagé au réveil citoyen, avant de voir son tempo général tomber pour une succession de titres à la rage sourde, qui rappellent par instants la discographie passée du trio. You Move et Poison Heart ont des faux airs de l’album Songs of Faith and Devotion (1993), quand Eternal nous rappelle un Little 15 (1987) qu’on aurait englué dans un baril de dissonance. Avec ce poisseux Spirit, qui nécessitera plusieurs écoutes pour révéler ses charmes, on ne peut que mesurer le chemin parcouru par les quinquagénaires, loin de l’image de garçons coiffeurs et leur aimable pop synthétique des débuts.
Benoît Carretier
Depeche Mode Spirit (Venusnote Ltd/Columbia/ Sony Music)
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