La communication sexuelle est déjà compliquée quand tout se passe bien. Mais quand ça ne va pas, comment dire “je n’aime pas” ?
Quand sommes-nous plus vulnérables qu’au lit ? Jamais. Le sexe est dangereux. Il fait exploser notre taux d’adrénaline. Il s’associe souvent à des sentiments amoureux – psychotropes notoires. Une brouette thaïlandaise mal inspirée, sur un parquet trop bien ciré, peut envoyerun sain étalon aux urgences. Franchement ? Le sexe devrait être catalogué parmi les sports extrêmes, au même titre que le surf-sur-grizzli ou le parapente – je vous défie de faire la différence entre bondage et équipement d’alpinisme.
Vulnérables, donc, à une sexualité qui nous révèle : tous projecteurs allumés, même en pleine nuit. Le simple fait d’atterrir dans une chambre d’hôtel avec un partenaire inconnu (ou une amante de longue date) nous dépouille progressivement de tous nos artifices : plus d’entourage pour nous mettre en valeur, plus de vêtements pour masquer les complexes, plus de langage pour planquer notre sensibilité derrière notre sens de l’humour ou notre intelligence.
Nous sommes vulnérables, et parfois, nous serons critiqués. Aïe. La communication sexuelle est déjà compliquée quand tout se passe bien – le désir, le plaisir, flottants au bord de l’indicible. Mais quand ça ne va pas ? Car ils existent, ces moments où vraiment ça coince, où vraiment ça gratte, au point que le silence, d’une coquetterie érotique, devient un poids. On connaît le sexe-corvée, les relations-repoussoir : on connaît et on évite. Ce qu’on appelle « chute de libido » et qui souvent, n’est que la conséquence de non-dits assourdissants. Il faudra soit subir, soit s’exprimer. Mais comment dire « je n’aime pas » quand on peine à dire « j’aime » (sans même parler de « je t’aime ») ?
Suggérer une option alternative
Tout d’abord, et c’est crucial, le timing est critique. De même qu’on recommande de ne pas faire les courses le ventre vide, ne vous lancez pas dans des critiques sexuelles quand vous errez entre frustration et énervement. Plus il vous semble urgent d’en parler, plus vous risquez de choisir la mauvaise formulation : si ça vous démange, préparez-vous une tisane (ou un steak tartare au couteau, il paraît que ça calme). Laissez passer 24 heures. Soufflez.
Vous échapperez ainsi à la question clichée : dois-je parler avant l’acte, pendant, juste après ? Sous peine de tomber comme un cheveu sur la langue, parlez quand ça se présente – aspirateur à la main, pendant le film du soir qui justement touche au sujet, ou effectivement pendant la séance sexuelle, parce qu’il/elle se retrouve trois centimètres trop à gauche.
Une technique « corporate » de communication veut qu’on délivre ses critiques en sandwich : entre deux compliments. Bof. La ruse semble grossière et nos partenaires sont malins (sinon, comment auraient-ils eu l’intelligence de nous choisir). Je vous laisse imaginer la scène : « J’adore la manière dont tu ondules, cependant tu es totalement à côté de la plaque, oh, comme j’aime la courbure de ta nuque. »
A mon avis, mieux vaut mettre un peu de douceur dans la voix, et suggérer une option alternative. Dire par exemple : « Attends, tu ne voudrais pas essayer sans les dents ? » La personne devrait facilement comprendre le message. Vous n’aurez fait preuve d’aucune agressivité, et puisqu’on dit toujours que la critique devrait être constructive : dans cette situation, vous construisez.
Accepter d’écouter
En revanche, si vous aviez imaginé que la mise en mots serait le plus difficile et qu’ensuite vous pourriez vous reposer sur vos lauriers tel Jules César en vacances en Guadeloupe, désolée, c’est raté. La mise au point sexuelle commence à peine ! Car le propre de la communication, c’est d’opérer dans les deux sens (sinon ça s’appelle un décret, et il faudrait vraiment être Jules César).
Vous avez parlé, vous allez maintenant obtenir une réaction et peut-être, ta-daaam, une réponse. Il est possible que la personne change la technique incriminée, mais il est également possible qu’elle ne comprenne pas (insistez), qu’elle se braque, ou qu’elle profite de l’occasion pour fournir ses propres critiques. Dans tous les cas, rappelez-vous comme nous sommes vulnérables au lit. Comme nous y jouons nos identités les plus fondamentales (genre, orientation sexuelle, activité/passivité, mais aussi type de personnalité, êtes-vous plutôt bad femme ou garçon fatal ? Vastes questions). Quand vous demandez à l’une ou l’autre de ne pas griffer (vous avez piscine), peut-être démontez-vous un pilier de sa construction émotionnelle. Peut-être que pour lui, ou elle, griffer repose sur une tradition familiale millénaire, et que cette tendance au plaisir acide démontre un caractère puissant, cool et responsable.
Si vous parlez, vous acceptez d’écouter. Et parce que nous sommes fragiles, vous acceptez de vous confronter à cette vulnérabilité, parfois à ces souffrances enfouies, parfois aux sursauts de fierté. Ces émotions pourront vous être renvoyées en pleine tête comme mécanisme de protection (« c’est TOI qui n’est JAMAIS disponible ») – il faudra recevoir ces critiques, dans leur objectivité et dans leur éventuelle injustice.
Accepter d’entendre
Si vous écoutez, vous acceptez d’entendre : y compris des choses qui fâchent. Peut-être entendrez-vous que l’amour ne garantit pas la compatibilité sexuelle. Peut-être entendrez-vous que vous êtes incompétent-e, qu’on vous trompe, que vous auriez dû faire la vaisselle, que vous vous exprimez mal.
IL Y A DE LA GRÂCE DANS NOS FRAGILITÉS ET NOS FIASCOS : C’EST EN BAISSANT LES ARMES QU’ON PEUT ENFINACCUEILLIR. C’EST EN ACCEPTANT D’ÊTRE BLESSÉS, ET DE BLESSER, QUE NOUS COMMUNIQUONS RÉELLEMENTC’est pourquoi en délivrant vos critiques, vous vous rappellerez comment accepter la critique. Ici, deux brèves remarques : si vous avez le sentiment d’être nul/le, d’ignorer comment vous y prendre, c’est qu’on ne vous a jamais appris – vous résultez de votre passé sexuel, et si tous vos précédents partenaires aimaient qu’on mette deux doigts, juste deux, il est bien naturel que vous tentiez de reproduire ce qui a fonctionné. Nous pouvons faire de notre mieux… mais ce mieux se heurtera toujours à l’expérience de l’altérité. Deuxième observation : le plus souvent, vous n’êtes pas la cible réelle des critiques énoncées. Contextualisez. Une personne qui vous « attaque » sexuellement peut le faire pour attirer votre attention, pour attiser votre désir, pour sonner l’alarme. Le champ est vaste.
Quand vous aurez parlé, écouté et entendu, il sera temps de négocier. Une des idées fondatrices de la communication moderne est qu’elle pourrait tout résoudre, mais c’est faux : on n’obtient pas toujours ce qu’on veut dans la vie. Personne ne nous doit rien, surtout sexuellement. Et négocier ne consiste pas forcément à atteindre un juste milieu (quand l’un rêve d’orgie et l’autre de fidélité, bon courage pour le trouver). Négocier, c’est accepter de perdre de temps en temps – un bon exercice d’humilité.
Attention, enfin, à une stratégie qui se répand : l’évitement de la critique via la recherche de perfection. Les hommes prennent du Viagra pour n’être jamais pris en faute (l’impuissance n’en est pas une), les femmes simulent pour paraître ultra-orgasmiques. Nous nous lissons.
L’évitement fonctionne. Il ne résout rien, mais il fonctionne. Reste le prix à payer, le lourd prix de la perfection : à force de vouloir se protéger et/ou de protéger l’autre, rater la vulnérabilité. Passer à côté de la faiblesse. Il y a de la grâce, pourtant, dans nos fragilités et nos fiascos : c’est en baissant les armes qu’on peut enfin accueillir. C’est en acceptant d’être blessés, et de blesser, que nous communiquons réellement. Un sport extrême : un sport d’adultes.
- Maïa Mazaurette
Journaliste au Monde
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