mercredi 1 juin 2016

Temps de travail des fonctionnaires : mensonges et vérités sur un rapport | L'Humanité

Temps de travail des fonctionnaires : mensonges et vérités sur un rapport | L'Humanité



Le rapport de Philippe Laurent (UDI) sur la durée du travail dans la fonction publique a donné lieu à une campagne médiatique pour accréditer l'idée que ces salariés travailleraient moins que les autres. Une lecture du document montre pourtant une autre réalité. Explications avec le rapporteur.
Le rapport de Philippe Laurent (UDI) sur la durée du travail dans la fonction publique a donné lieu à une campagne médiatique pour accréditer l'idée que ces salariés travailleraient moins que les autres. Une lecture du document montre pourtant une autre réalité. Explications avec le rapporteur.
« Exclusif. Temps de travail des fonctionnaires : le rapport que Valls veut cacher ». Ce titre, sur le site Internet de l'Obs, ne pouvait qu'attirer l'attention. « En moyenne, les agents des administrations travaillent 15 journées de moins par an que les salariés du privé. C'est ce que révèle une étude qui devait être remise ce jeudi au premier ministre », lit-on ensuite en tête de l'article. Un chiffre choc repris par une bonne partie de la presse et des médias. Sauf que, non, ce chiffre, l'étude ne le dit pas.

Cette fameuse étude est en fait un rapport, commandé au maire UDI de Sceaux Philippe Laurent par l'ancienne ministre de la Fonction publique Marylise Lebranchu et par le premier ministre Manuel Valls.

Quand nous le contactons, jeudi, l'auteur du rapport est pressé : depuis la matinée il enchaîne les rendez-vous avec la presse pour tenter de faire baisser « la fièvre », comme il le dit. « Ils ont pris un chiffre qui n'était pas dans le rapport. Notre rapport porte sur le temps de travail ''officiel''. Eux ont comparé avec le temps de travail, heures supplémentaires comprises. Mais des heures supplémentaires, il y en a dans le secteur public aussi », enrage Philippe Laurent. Il regrette d'autant plus cet emballement polémique que le but visé était, selon ses dires, précisément l'inverse : « J'ai essayé de faire en sorte que ce document clarifie, objective cette affaire. Ce n'est pas évident : vous avez vu la réaction d'une partie de la presse. »

Responsabilité du management

Cette réaction ne sort cependant pas de nulle part. Initialement, le rapport devait être rendu jeudi matin au premier ministre à Matignon. Mais, sans doute effrayé par les tensions sociales qui mobilisent déjà une partie importante de la fonction publique, Manuel Valls a préféré reporter sa remise. « Jamais ils ne m’ont demandé mon avis. J'ai essayé de les appeler, mais ils n'étaient pas joignables. C'était une bêtise car cela ne pouvait qu'alimenter tous les fantasmes », regrette Philippe Laurent, qui n'a finalement pu remettre sa copie qu'à la seule ministre de la Fonction publique, Annick Girardin.

Alors que dit finalement ce rapport ? Il reconnaît certes quelques problèmes. « Peu de fonctionnaires effectuent les 1 607 heures réglementaires », surtout dans « de grandes villes qui appartenaient à la gauche », y lit-on. Ou encore : « En France, les trois versants de la fonction publique bénéficient, par le jeu cumulé des congés annuels, des RTT et des autorisations d'absence, d'un socle réglementaire parmi les plus favorables en Europe et dans les pays de l'OCDE. Il est permis de s'interroger sur la soutenabilité à long terme de cette situation. » Mais pour le rapporteur, qui dirige lui-même une collectivité, cette situation ne relève pas de la responsabilité des fonctionnaires, mais de leur « management », qui n'aurait « pas su comme dans le privé profiter du passage aux 35 heures pour réviser l'organisation du travail ».

36 % des fonctionnaires travaillent le dimanche

Pour l'Humanité, Philippe Laurent explique : « Les élus s’intéressent très peu aux ressources humaines. C'est très dommage, parce que c'est là la clef de la réussite. Si vous avez des agents qui n'ont pas un minimum de sens de l'action à mener, si vous avez des gens qui ont l'impression que ce qu'ils font ne vous intéresse pas, ça ne marche pas. Il faut soutenir les agents ! » Alors, les fonctionnaires, des salariés comme les autres ? « D'une certaine manière, oui. Mais il y a une différence tout de même : il y a beaucoup plus de fonctionnaires qui sont soumis à des sujétions particulières que de salariés du privé (travail le week-end...). Et les fonctionnaires de police, les hospitaliers, etc. n'ont pas les compensations qu'ont les salariés du privé. C'est simplement leur statut ». Cela, on ne le trouvera pas dans l'article de l'Obs, ni dans la majorité de ses reprises. De son côté, la ministre de la Fonction publique a commenté le rapport à l'AFP : « On est loin de l'image du fonctionnaire fainéant. Des vérités sont rétablies, comme le fait que 36 % des fonctionnaires travaillent le dimanche, contre 25 % dans le privé, et que 17,5 % travaillent la nuit, contre 14,9 % dans le privé », énumère Annick Girardin, tout en évoquant des « dysfonctionnements liés à des pratiques managériales qu'il faut changer ». « Tout cela est simple. Cela ne méritait pas une telle montée de fièvre. On ne parle pas d'un grand changement de société », regrette le rapporteur qui dit n'avoir qu'une seule ambition : « Combler le manque de connaissances qui existe sur l'organisation du travail dans la fonction publique ».

Heures supplémentaires non payées

De son côté, Christophe Couderc, secrétaire national de la CGT Services publics, a réagi à la publication du rapport en déclarant : « Tout ce qui peut tordre le cou à l’idée que les fonctionnaires sont des feignants et des planqués nous va », rapporte la Gazette des communes. Pour le syndicaliste, « le rapport Laurent et la Dares disent que les fonctionnaires travaillent autant que les salariés du privé. S’il y a une différence, elle s’explique par la continuité du service public, les horaires atypiques, tôt le matin ou la nuit ou le dimanche, ou encore les heures supplémentaires qui ne sont plus payées avec la baisse des dotations ». Quant à la CFDT, elle a publié un communiqué dans lequel elle rappelle que, dans la fonction publique territoriale, « les durées du temps de travail ont été négociées, parfois dès les années 1980, pour partager le travail et donc créer des emplois, élargir les plages d’ouverture des services, samedis compris ». Remettre en cause ces accords doit donc passer pour le syndicat par de nouvelles négociations, avant de prévenir : « La CFDT s’opposera à tout passage en force ». Et Didier Bourgoin, secrétaire général du syndicat des agents territoriaux Snuter-FSU, de rejeter pour sa part la tentation que « la question du temps de travail soit instrumentalisée au regard des conflits en cours ».

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